L’abbé Michel Baranger qui a exercé son ministère dans notre paroisse, vient de nous quitter. Voici quel fut son itinéraire.
Saint Michel Mont Mercure, point culminant de la Vendée. C’est dans ce bourg du bocage qu’est né Michel le 1er mai 1936. Il a grandi dans les senteurs du pain frais de la boulangerie familiale. Pendant la guerre, en l’absence de carburant, c’était avec le cheval des paysans voisins, de LA BAIRE, que le jeune Michel accompagnait son papa ou sa maman dans la tournée de livraison. A l’arrivée dans chaque maison on inscrivait sur un carnet le nombre de pains livrés, des pains de deux livres en général. Parfois on se contentait de déposer le pain dans une desserte, suffisamment à hauteur, par exemple sur une échelle pour que les animaux n’y aient pas accès ; les souris s’y promenaient librement tout autour, à tel point qu’un pain rassis leur était destiné. Elles creusaient jusqu’au plus profond de la mie, ce qui les dispensait de s’attaquer à la croûte. Pas folles les souris. 1945 : fin de la guerre. Michel a 9 ans ; il continue d’accompagner les adultes pour la livraison du pain dans les écarts. L’essence est encore rationnée, mais la nouvelle camionnette des parents est plus confortable que la carriole à cheval de La Baire.
École primaire catholique à St Michel, la seule qui existât à l’époque. Un prêtre issu de la paroisse venait de quitter la prêtrise. Un départ ressenti douloureusement par la population de la paroisse, pratiquante dans sa presque totalité. Le petit Michel se dit : « je le remplacerai ».
A 11 ans, en 1947, Michel rentre à l’internat du petit séminaire de St Laurent sur Sèvre. C’était le 29 septembre. Combien de petits sixièmes, loin de leurs parents, frères et sœurs pleuraient chaque soir sous leurs draps dans ces grands dortoirs où s’alignaient en alternance lit et table de nuit. Un an au Petit Séminaire de Chavagnes. Puis de la troisième à la Terminale au tout nouveau petit séminaire des Herbiers ouvert en 1950, après la bénédiction par Mgr Roncalli, nonce apostolique, le futur pape Jean XXIII
Avec l’Abbé PIERRE
A l’issue de l’année charnière de philosophie qui peut donner accès au grand séminaire, Michel s’entend interpeller par son conseiller spirituel, François Chalet. On parlait alors de directeur de conscience. « Que fais-tu de tes vacances ? – « Sans doute les tournées de pain à la boulangerie ; si je n’étais pas entré au séminaire j’aurais aimé être boulanger comme mon père. L’après-midi on part en tournée dans la commune : contact avec les gens, à la cave devant un verre de vin tiré des barriques où l’on parle avec les hommes : à la cuisine c’est le café avec les femmes. » François Chalet : « je vais passer un mois chez l’abbé Pierre : je t’emmène ». En fait François l’y aura précédé. Michel part en autostop avec un autre séminariste, déjà entré dans le clergé par la tonsure au bout d’un an de grand séminaire, Georges Piveteau. Tous sont accueillis à Neuilly-Plaisance, siège alors d’Emmaüs. 17 heures, on leur donne une piaule et c’est alors que commence la chasse aux punaises et autres bestioles parasites. Dîner. On ne sait pas d’avance si l’abbé Pierre serait là : il s’y trouvait.
Arrive un homme avec un baluchon sur l’épaule aux allures de clochard. Il demande à être logé. L’abbé Pierre l’engueule, au plus grand étonnement de Michel. L’abbé lui avait dit : «Demain matin, debout à 7 heures, tu travailles. » Mais ce que voulait l’homme c’était manger, être logé, sans avoir à travailler. L’abbé explique: « C’est bien marqué sur mon front que je suis bon, ce n’est pas marqué que je suis con ! » Dès le lendemain, dit Michel, nous sommes environ 70 à travailler à la réserve en 2 différents secteurs, bouteilles en verre, bois, la ferraille, et les galeries d’un peu tout qu’on appelait « la farfouillette ».
On leur met entre les mains un camion Citroën P 45, à Georges et à Michel pour ce qu’on appelait « la chine ». On les envoyait dès le matin dans Paris, avec des fiches pour aller, par exemple, vider une cave à charbon, une chambre de bonne au 7° étage sans ascenseur, et en d’autres lieux. On nous a fait construire des igloos à Noisy le Sec : 4 rangées de parpaing pour un rectangle en éverite , un sol en béton et voilà une maison, mais toujours sans eau, ni chauffage.
Dans ce milieu tout ou presque se réglait par la violence et un coup de poing dans la gueule ; des enfants marchant dans la boue, des hommes en crise de palud, de délirium trémens, s’y côtoyaient. Ce fut 3 semaines à Emmaüs.
Ils savaient que j’étais « apprenti curé » Est-ce pour cela que les «compagnons » ou « chiffonniers » se confiaient facilement. C’est ainsi que pour la première fois il a entendu quelqu’un lui dire : « j’ai été marié 2 fois. Après la deuxième séparation, j’étais à la rue : chapardage, manche, boisson, bagarres… c’était mon emploi du temps. C’est le Père (l’abbé Pierre) qui m’a sorti de là ». C’est avec lui, Dédé, que Georges et Michel ont construit des « igloos », ces logements d’urgence, rudimentaires qui ont sauvé bien des familles. Il a familiarisé aussi avec Maxime, avec le « Hongrois », avec le légionnaire… qui lui ont raconté leur vie, il n’en croyait pas ses oreilles. En 3 semaines il a entendu des choses, qu’à l’époque il ne soupçonnait même pas. Ces hommes rudes avaient un cœur tendre. Ils lui ont dit à son départ « tu devrais rester avec nous ».
Octobre 56, rentrée au grand séminaire de Luçon. Au bout de 2 années service militaire, en juillet 1958. D’abord 2 mois de classe dans les Chasseurs à Granville. Puis l’école des officiers à Saint Maixent dans les Deux-Sèvres. Avant de partir pour l’Algérie, en guerre depuis la Toussaint 1954, Michel se porte volontaire pour un commandement dans une SAS (section administrative spécialisée). Là-bas il était en relation constante avec la population. L’humanitaire l’emportait sur le militaire, ce qui le mettait souvent en conflit avec les officiers du 6ème Hussard en poste dans le quartier, ou du 13ème Dragon, basé à Agazga. SAS était à Yahouren à 50-60 km de Tizi-Ouzou. Il s’agissait d’aider à l’alimentation des autochtones, de donner du travail à la population : récolte du chêne-liège, de juin à août avec 90 travailleurs, constructions de pistes en lien avec le Génie… Pour assurer sa sécurité, au cours de ses fréquents déplacements dans les villages, il avait à sa disposition un « Maghzen » (30 harkis contractuels appelés « moghazins »).
Il était, trop souvent à son goût, sollicité par le colonel pour des opérations militaires. Il assurait avec sa section des bouclages ou des ratissage de jour, ou encore des interceptions de convois la nuit… Si beaucoup d’algériens se sont engagés à servir dans l’armée française, à l’indépendance en 1962 le nouveau pouvoir algérien ne leur pardonnera pas. Ils seront égorgés en grand nombre. La presse d’alors fut très discrète à ce sujet. Michel, de retour au grand séminaire, a cherché à sauver son interprète Ali par bien des moyens. En fin de compte Ali sera égorgé, comme d’autres que Michel a bien connus.
Michel rentre au séminaire de Luçon. Dure année. Les réadaptations ne furent pas évidentes après 28 mois de vie militaire. Alors qu’il était moniteur en colonie de vacances en Corrèze l’été, il éprouve de violents maux d’estomac. C’était un ulcère qu’il devra supporter pendant 9 ans, avec des moments d’accalmie et de fortes crises.
Michel est ordonné prêtre le 28 juin 1963 à Luçon. Cette année-là Monseigneur Cazeaux ordonne 29 nouveaux prêtres, ce qui peut faire rêver 50 ans après. Ce temps béni reviendra-t-il ? Michel est nommé vicaire à Sainte-Hermine, il y restera 4 ans jusqu’en juin 1967. Le secrétaire de l’évêque, Jacques David prend contact avec lui : « Monseigneur veut que tu guérisses enfin ». On l’envoie au Méandre dans l’Isère pour un repos qui durera 3 mois.
Déjà nommé en juin à Chantonnay, Michel y arrive seulement en novembre 67. Vicaire, il est aussi aumônier du collège Saint Joseph. En avril 1970 une hémorragie de l’estomac le condamne à 17 jours d’hospitalisation. Après avoir repris des forces il est a nouveau hospitalisé. Le chirurgien lui dit : « Un ulcère qui a saigné saignera encore. Il faut enrayer ça ». D’où l’ablation des 2/3 de l’estomac. A nouveau 17 jours de clinique (à Saint François de Cholet) 4 mois de repos, mais la guérison est là.
Michel a obtenu le permis de conduire pour véhicules poids lourds et transports en commun. Ce qui permet de louer un car qu’il va conduire pour emmener enfants et moniteurs en camp et colonie de vacances. Celles et ceux qui l’accompagnaient se souviendront de cette route des Pyrénées. Pour éviter deux voitures qui faisaient la course, le car que Michel pilotait s’est retrouvé dans le fossé, tout juste retenu du précipice par les racines d’un arbre au destin providentiel. Les passagers ont été bousculés mais sans accident de personne. En 1972 Michel est nommé à Notre Dame de Fontenay où il restera 6 ans.
En 1978 Michel entend un appel, une lettre de la Mission Ouvrière de Paris demandant deux prêtres à tous les évêques de l’Ouest. Cette lettre est transmise au délégué de la Mission ouvrière en Vendée, Gaston Besson, alors délégué diocésain à la mission ouvrière. Avec l’appui des aumôniers en monde ouvrier de Vendée, Michel est envoyé dans le 77, à Pontaut-Combault sous un contrat de trois ans, renouvelable, entre les deux diocèses, Meaux et Luçon. Michel vit en équipe avec un aumônier fédéral en JOC et un diacre se préparant au ministère presbytéral. Puis à Noisiel. L’évêque de Meaux propose à Michel un poste de curé à Marne-la-Vallée au moment de la création de la ville nouvelle et de Disneyland. Un énorme chantier. Michel se souvient de ce moment où l’on a fait appel à un prêtre suite à un accident de travail. Après avoir franchi plusieurs barrages Michel accède au lieu de l’accident. Un homme est tombé dans le béton liquide. On n’a pas arrêté le chantier. L’homme a disparu dans ce linceul en fusion. Un ouvrier Turc lui a-t-on dit.
En 1989 Luçon rappelle qu’un contrat temporaire doit favoriser un enrichissement mutuel par un échange d’expérience et donc permettre un retour, comme il en est ainsi pour d’autres prêtres de Vendée, Claude Babarit, Antoine Hermouet, Paul Landreau dans l’Essonne, des religieux de Millesouris dans la Seine St Denis. Luçon signifie à Michel que son contrat s’arrête. Avant de rentrer en Vendée Michel obtient, comme le feront plus tard Claude Babarit et d’autres, une année de recyclage à l’Institut Catholique de Paris dans le cadre de l’AFM (Année de Formation aux Ministères). Michel réside alors rue Jean de Beauvais, à Paris, siège de la Mission Ouvrière. Cette année se conclut par trois semaines à Jérusalem et Nazareth.
Dans la perspective du retour en Vendée, 4 postes sont possibles pour Michel : curé à la paroisse st Thérèse de la Roche sur Yon, curé à la paroisse du nouveau quartier populaire de st Hilaire de la Roche, st Hilaire de Riez, ou même vicaire aux Herbiers. Ce sera Saint Hilaire de la Roche, la « paroisse rouge » comme on l’appelait alors. On y grelottait l’hiver. Michel travaille à l’amélioration de ce bâtiment appelé centre st Hilaire, comportant une église. Travaux de couverture, d’agrandissement et de chauffage. « Il faut être bien pour prier » précise Michel.
Après la Roche sur Yon ce sera 12 années à Château d’Olonne, comme curé « in solidum », c’est-à-dire en lien avec le curé résidant au presbytère Notre Dame aux Sables d’Olonne et l’équipe des prêtres et diacres du doyenné. Michel est aussi le prêtre accompagnateur de plusieurs mouvements.
A 75 ans l’âge où, en Vendée les prêtres deviennent « prêtres auxiliaires », Michel reçoit la proposition de rester à proximité, à St Mathurin où il succède à Gaston Vinet. A l’aube de ses 80 ans Michel doit quitter ce presbytère et son grand jardin, car tout doit être rasé pour lotir ce centre bourg de onze nouvelles maisons individuelles, à proximité de la mairie. Avant de quitter ce lieu pour une maison en face de l’église, Michel aura obtenu qu’un secrétariat paroissial, avec salle d’accueil puisse être aménagé dans les dépendances au chevet de l’église. En 2018 une petite maison lui est attribuée sur le lieu même de l’ancien presbytère. A St Mathurin, au plus près de la vie des gens, le pasteur qu’a toujours été Michel continue son chemin, entouré de nombreux amis.
En 2020 un accident vasculaire cérébral le conduit à un séjour aux Saisonnales de Grosbreuil, puis à être accueilli dans la communauté des Religieux Rédemptoristes, de la rue d’Anjou aux Sables d’Olonne. Michel murit la décision d’entrer en EHPAD à la maison de retraite du clergé aux Herbiers, dans son bocage natal. C’est s’éloigner de nombreux paroissiens qui lui gardent leur amitié, l’appellent au téléphone ou viennent lui faire visite. Son esprit reste en éveil mais sa démarche se fait plus lente. Le dimanche 28 avril son état de santé nécessite son entrée à l’hôpital de Cholet où il est décédé le jeudi 2 mai 2024.
C’était en l’église Notre Dame de Bon Port, le 4 septembre 2011, avant de quitter les Sables pour Saint Mathurin, Michel avait dit :
« L’évangile c’est une bonne nouvelle qui rend libre. C’est la Parole de Dieu, une Parole vitale, vivifiante. Jésus nous donne sa vie en abondance… Si l’Évangile fait peur il n’est plus une bonne Nouvelle. Les chrétiens devraient donc transpirer de bonheur et de joie communicative. C’est ainsi que j’ai essayé de vivre mon ministère… Ce monde, nous n’avons pas à le juger. Nous sommes là pour lui annoncer le salut. Ce monde est le nôtre, c’est celui que Dieu nous donne à aimer, et à servir… Merci, merci mille fois de m’avoir aidé à assurer mon ministère, c’est-à-dire de m’avoir aidé à servir. »
claudebabarit@orange.fr/