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Homélie de Philippe POTIER lors de la messe de Requiem pour Jean-Charles Thomas, évêque vendéen qui est décédé récemment.

    Mgr Jean-Charles THOMAS en juillet 1911 à Notre Dame de Bon Port Lors du jubilé sacerdotal de Bernard TESSON et Jean PAIN

    Jean-Charles Thomas, ce fils de la Vendée profonde, s’était donné comme devise « comprendre, aimer, servir ». Arrivant comme évêque de Versailles, après Ajaccio, il étonna plus d’un curé des Yvelines quand on le voit plonger ses mains sous le capot d’une 2 Chevaux-Citroen pour le dépanner fraternellement.

    MESSE DE REQUIEM POUR MGR JEAN-CHARLES THOMAS, ÉVEQUE EMERITE DE VERSAILLES CATHEDRALE SAINT-LOUIS DE VERSAILLES HOMELIE DU P. PHILIPPE POTIER (ANCIEN VICAIRE GENERAL DU DIOCESE DE VERSAILLES) 20 OCTOBRE 2023

    « Le 15 janvier 1950, je fus envahi par l’intime conviction que la Bible contenait l’essentiel de la foi en Jésus, de la façon de vivre en disciples et en frères, en prêtres missionnaires ». Quand Jean-Charles Thomas reçut cette intime conviction, il venait de fêter ses 20 ans et il était au grand séminaire de Luçon.

    Cette découverte, il ne la garde pas pour lui, il la partage avec trois amis du séminaire et aux vacances suivantes de Pâques, ils partent ensemble pour une semaine de retraite à l’abbaye cistercienne de Bellefontaine pour voir comment cette conviction peut guider leur future vie de prêtre. Pour cette retraite, ils ont choisi un bon guide, le Père Antoine Chevrier, fondateur du Prado, et son livre « Prêtre selon l’Évangile ».

    Lors de son premier ministère, vicaire aux Sables d’Olonne, il fera une 2ème découverte qui marquera aussi sa vie. Dans cette paroisse des Sables, il est très heureux, au sein d’une équipe de 3 prêtres et son curé lui fait connaître Charles de Foucauld et les fraternités Charles de Foucauld qu’il rejoindra. Il y sera fidèle jusqu’à la fin de sa vie, car il trouvera au sein de ces fraternités sacerdotales Jésus Caritas, trois piliers qui sont essentiels pour lui : l’adoration, la méditation de l’Évangile et la révision de vie. Et ce matin, à ses obsèques à l’église St Gilles-Croix-de-Vie, ses amis en cercle autour de son cercueil, ont dit la prière d’abandon de Charles de Foucault.

    Je voudrais vous partager ce soir comment Mgr Jean-Charles Thomas a vécu de cette conviction reçue à l’âge de 20 ans, d’abord la Bible qu’il a fouillée toute sa vie, puis la réconciliation vécue et prêchée comme étant la vie de disciples et de frères et enfin le dialogue avec tous, sans exclusive, comme sa manière d’être prêtre missionnaire.

    1/ La Bible au fondement de tout

    Jean-Charles Thomas a passé toute sa vie à travailler la Bible, à la méditer et à la faire connaître. Il a été comme le prophète Ézéchiel : il a mastiqué la Bible, il l’a mangée ; elle lui tenait aux entrailles et en toute circonstance, il y revenait sans cesse. Comme le psalmiste, il a murmuré la Parole jour et nuit.

    Le Père Thomas, en toutes choses, ne se contentait pas de ce qu’on lui racontait. Il lui fallait connaître par lui-même. Homme pratique, touche-à-tout, il lui fallait analyser les nouvelles techniques ou les objets neufs pour savoir comment ça marchait.

    Il a travaillé lui-même la Bible ; il allait hors des sentiers battus, curieux de tout. Il a écrit ainsi la préface d’un livre de Claude Tresmontant, « Le Christ hébreu » qui défendait la thèse iconoclaste d’un premier évangile écrit en hébreu avant les quatre évangiles.

    Il a aussi soutenu la bible des Communautés chrétiennes du Père Bernard Hurault, un prêtre du diocèse parti en Amérique latine comme prêtre Fidei donum. Bernard Hurault avait traduit la bible en espagnol pour les Communautés chrétiennes de base avec des notes pastorales qui aidaient les membres de ces communautés à faire le lien avec leur histoire de libération. Cette bible avait eu un grand succès. D’où le Père Hurault avec l’aide de son frère Louis, prêtre aussi de notre diocèse, a réalisé une traduction française. N’ayant pas trouvé de conférence épiscopale francophone pour donner son « Imprimatur » (Seule une conférence épiscopale peut donner l’autorisation de publier une nouvelle traduction de la Bible), Mgr Thomas a donné personnellement son Imprimatur pour l’édition de cette Bible, trouvant que ces notes spirituelles et pastorales facilitaient bien la compréhension de la Parole de Dieu. Décision rapide, car des notes erronées sur la place du peuple juif dans l’histoire du salut provoquèrent une tempête avec la Communauté juive. Je vous en parlerai plus loin.

    Ayant pris conscience des lacunes de cette Bible des Communautés chrétiennes, qui était trop l’oeuvre d’un homme seul, il s’est lancé, avec l’Alliance Biblique Française, dans l’édition d’une nouvelle Bible, « La Bible expliquée » en reprenant l’intuition de notes qui soient un vrai guide lecture. Pour cela, il a constitué et fait travailler une équipe oecuménique d’exégètes. Car si le Père Thomas était indépendant d’esprit, il privilégiait le travail en équipe. J’ai appris récemment avec plaisir que cette « Bible expliquée » était épuisée ; un bon succès.

    Ces trente dernières années, il beaucoup travaillé l’Évangile de St Jean, toujours hors des sentiers battus, puisqu’il a approfondi et défendu la thèse que l’Évangile de Jean n’est pas un écrit tardif qui clôt le Nouveau Testament, mais au contraire le premier écrit, antérieur même aux premiers écrits de l’Apôtre Paul. Je ne vais pas vous en parler ce soir, mais vous pouvez aller voir un texte de 60 pages qu’il a rédigé en 2021 sur ce sujet.

    Aussi son choix du chapitre 11 de St Jean pour ses obsèques ne m’étonne pas. D’autant plus que cet évangile contient une des plus belles, sinon la plus belle profession de foi des évangiles, celle d’une femme, Marthe :

    « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11, 25-27)

    Jean-Charles Thomas a répondu comme Marthe : « Oui, je le crois. Tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde ». Cette foi a animé toute sa vie. Il a cru en Jésus, il a vécu avec Lui, en L’écoutant, en se laissant inspirer, guider par Lui. Il a été contesté, remis en cause, il a dû mourir à un certain nombre d’idées, de manières de faire, mais dans toutes ces situations, il a accueilli la vie du Christ ressuscité. Il a toujours prêché la vie, une vie plus forte, plus belle avec Dieu, le Vivant, en faisant oeuvre de justice et de paix, en faisant oeuvre de réconciliation.

    2/ Laissez-vous réconcilier !

    « Laissez-vous réconcilier avec Dieu, avec vous-même, avec vos frères ! ». C’est le premier appel que Mgr Thomas nous a lancé quand il a pris la responsabilité du diocèse en 1988. Il nous a engagé dans une démarche synodale de trois ans sur « Le pardon et la réconciliation ». J’ai envie de vous faire entendre sa voix, en vous lisant la préface qui ouvre le livre qui reprend tous les fruits de ce travail synodal

    « Frères et soeurs des Yvelines

    A vous tous, chrétiens, religieux clercs et fidèles du Christ, et à vous qui habitez les Yvelines et cherchez Dieu !

    Puisque je suis le serviteur de tous, je suis tenu de me mettre au service de tous et de me faire, pour vous tous, le ministre des merveilleuses paroles de notre Seigneur. Dieu est le seul Saint, Fort, Très-Haut, Père tout-puissant. Il est tout à la fois Père, Fils et Esprit. Il est Charité, Amour, souverain Bien, totalement bon et aimable, Sagesse, Humilité, Patience, Sécurité et Repos…

    Il nous a faits pour le bonheur de vivre avec Lui dans l’amour des autres et le respect de notre dignité… Il parle en nous par la conscience. Quand nous refusons de vivre avec Lui, Il nous reste fidèle…

    Laissons-nous réconcilier avec Lui, avec tous nos frères et soeurs de ce temps, et avec nous-mêmes. Et ensuite pardonnons à tous comme Dieu nous a pardonné. Nous ne pouvons rien faire de plus utile et de plus beau que de travailler avec lui à la réconciliation de tous les Hommes… »

    Ces mots forts ne sont pas que des mots, ils sont portés par l’engagement de Mgr Thomas en Corse pour la paix et la réconciliation :

    Il y a eu les événements de la prise d’otage à Aléria en 1975 où Mgr Thomas s’est impliqué.

    Il y a eu en janvier 1980 les événements de Bastelica/Fesch, l’hôtel Fesch à Ajaccio où le groupe du nationaliste corse, Marcel Lorenzoni, s’était réfugié avec des otages. La tension était très grande dans la ville. Mgr Thomas a alors tenté une médiation. Il va voir le préfet et obtient l’autorisation d’aller rencontrer le groupe nationaliste ; traversant une foule survoltée, il entre dans l’hôtel Fesch, prends le temps d’écouter les vraies demandes du groupe nationaliste, de les noter et retourne voir le préfet pour lui parler positivement de ce qu’ils veulent et lui affirmer qu’il ne s’agit pas d’une véritable prise d’otages.

    Mais malheureusement, dans la soirée, il y a 3 morts, un gendarme, un jeune et une infirmière. La nuit, c’est l’émeute.

    À 4 heures du matin, le préfet téléphone à Mgr Thomas pour qu’il intervienne à la télévision le matin même. Il est le seul à pouvoir être écouté par tous. A 7h, il intervient sur FR3 Corse, s’appuyant sur le message du 1er janvier du pape Jean-Paul II : « La non-vérité est la cause de la violence ; la vérité ouvre les voies de la paix ».

    Samedi dernier, suite à son décès, tous les journaux de Corse ont écrit sur Mgr Thomas. « Corse-Matin » a repris la phrase dite à l’époque par un chanteur du célèbre groupe « Canta u Populu Corsu » : « Ce jour-là (10 janvier 1980), aucun élu n’a fait entendre sa voix. Seul, l’Évêque de la Corse, Mgr Thomas a fait entendre son message d’amour et de paix »

    Lorsque Mgr Thomas, suite à l’Imprimatur donné à la Bible des Communautés chrétiennes, a été contesté très fortement par les responsables de la Communauté juive pour des commentaires erronés du texte biblique, il a fait front, cherché honnêtement où il y avait problème et reconnu ce qui était théologiquement faux. La réconciliation a été célébrée par un grand dîner à l’évêché avec la présence de nombreux rabbins !

    On peut citer aussi l’oeuvre de réconciliation qu’il a menée avec les Communautés traditionnalistes. Il est arrivé à Versailles au moment de l’occupation de l’église de Port-Marly par les ultras du mouvement traditionnaliste. Il a été violemment pris à partie. Mais patiemment, en cherchant le dialogue, il a su trouver une place originale pour les communautés attachées à certaines formes de la tradition, restaurant avec beaucoup d’entre elles la communion ecclésiale.

    C’est dans cette ligne de réconciliation que le Père Thomas a écouté les personnes divorcées : il considérait qu’il n’était pas possible d’enfermer à vie des personnes dans une situation de non-pardon. Aussi il a cherché à bâtir des chemins de réconciliation pour les personnes divorcées remariées, des chemins d’Église avec des critères précis de discernement qui restent tout à fait pertinents aujourd’hui.

    Le Père Thomas n’a pas voulu quitter le diocèse en laissant derrière lui des situations personnelles de ruptures. Il a été voir personnellement deux personnes vis-à-vis desquelles il avait dû exercer très fermement son autorité d’Évêque et qui en avaient été sérieusement blessées afin de vivre une réconciliation avec elles.

    3/ L’annonce de l’Évangile par le dialogue

    La réconciliation est basée sur le dialogue. Cette réalité du dialogue manifeste clairement le mouvement intérieur qui animait Jean-Charles Thomas : offrir l’Évangile à tous. Il était un homme de communication.

    Dialogue sans exclusive

    Mgr Thomas acceptait toutes les invitations. Quelques petites touches pour illustrer :

    Il a accepté l’invitation de la municipalité des Mureaux pour dialoguer sur le pouvoir politique, celle de la députée de Trappes, Catherine Tasca, pour discuter sur le projet de loi du PACS.

    Il a accepté l’invitation des Francs-Maçons de la Grande Loge de France pour dialoguer sur « foi catholique et franc-maçonnerie ». Cela a aussi été l’occasion d’un dialogue franc, par écrit entre Mgr Thomas et le cardinal Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

    Dialogue aussi avec les Maires des Yvelines qu’il aimait réunir, avec les curés de paroisse, sur des sujets d’intérêts communs, par exemple la célébration des mariages.

    Dialogue avec ceux qui savent parler, mais aussi avec ceux qui n’ont pas la parole

    Suite à ses études de Pastorale catéchétique à l’Institut Catholique de Paris, Mgr Thomas a été nommé Président du SCEJI, le Service Catéchétique de l’Enfance et la Jeunesse Inadaptées, qui venait de se créer ; il y a côtoyé Marie-Hélène Matthieu, la cofondatrice de « Foi et Lumière » qui avait le même âge que lui

    Le Père Thomas disait que ce service auprès des personnes en situation de handicap a marqué tout son ministère épiscopal. D’ailleurs quand il était notre Évêque dans les Yvelines, il a connu le mouvement « Amitié-Espérance », notamment avec Marie-France et Pierre Sarremejean de Chatou, mouvement qui réunissait des familles dont un membre était atteint d’une maladie psychique (mari paranoïaque, femme dépressive, enfant schizophrène, …), des familles dont on méconnaît les drames qu’ils vivent et qui sont souvent oubliées. Mgr Thomas est devenu aumônier national de ce mouvement, aumônerie qu’il a poursuivi durant sa retraite en Vendée.

    Dans son souci d’être accessible à tous, il avait inventé les « Rendez-vous sans rendez-vous » avec l’Évêque, une plage horaire mensuelle où quiconque pouvait venir sans s’annoncer.

    Je ne vais pas tout citer de l’engagement du Père Thomas dans la solidarité et le service. Juste deux touches :

    Les migrants grévistes de la faim qui ont été accueillis à la cathédrale dans la chapelle de la Providence en 1996 et l’aide apportée dans leur négociation avec les pouvoirs publics.

    Les équipes fraternelles qui réunissent autour de l’Évangile des blessés de la vie. Avec lui, le soutien et le développement de ces équipes sont devenus une action diocésaine qui prospère encore aujourd’hui. Il avait trouvé une manière simple de participer au rassemblement annuel diocésain de ces équipes : il assurait le service des tables ; il aimait faire la cuisine et il cuisinait bien, ceux qui ont mangé à sa table peuvent le dire !

    « Comprendre, Aimer, Servir »

    C’est la devise épiscopale de Mgr Thomas ; Il n’a pas choisi une phrase de l’Écriture, comme la plupart des Évêques, mais il a forgé lui-même cette devise lorsqu’il est arrivé comme Évêque en Corse.

    Quand il a débarqué à Ajaccio, il a été accueilli avec des pancartes où était écrit : « Per un vestu corsu », « Pour un évêque corse ».

    Là, il s’est dit : « Moi, le Vendéen, il faut que je comprenne ce peuple corse que je ne connais pas. Et le comprenant, apprendre à l’aimer. Et l’aimant, le servir : on ne sert bien que ceux pour qui on a un amour vrai. »

    Cette devise exprime parfaitement tout le mouvement qui a animé Mgr Thomas, car il était un évêque, un homme en mouvement, allant toujours de l’avant, allant toujours à la rencontre.

    J’ai beaucoup appris auprès du Père Thomas que j’ai servi neuf ans. Et aujourd’hui encore j’aime revenir, méditer sur cette devise, sur cette séquence de verbes : comprendre, aimer, servir.

    Je pense qu’elle peut éclairer chacun de nous dans notre relation au Christ et aux autres : COMPRENDRE, AIMER, SERVIR.

    Père Philippe Potier (Église Catholique Yvelines)