« L’abbé Pierre et ses combats », ce nouveau film sur le fondateur d’Emmaüs sort sur les écrans et dans les salles en novembre 2023. Michel Baranger, né à Saint Michel Mont Mercure en 1936, et d’autres de sa génération, se souviennent. Ils n’avaient pas vingt ans. Pour Michel et pour Georges Piveteau (des Brouzils), un autre jeune, séminariste comme lui, quel meilleur projet pour l’été que de rejoindre pour un temps Emmaüs dont leur avait parlé l’un de leurs professeurs, François Chalet ? Michel et Georges partent en autostop depuis la Vendée. Ils sont accueillis à Neuilly-Plaisance, siège alors d’Emmaüs. Michel raconte : « A 17 heures on nous donne une piaule. C’est alors que commence la chasse aux punaises et autres parasites. Repas du soir sans façon. Arrive un homme aux allures de clochard, baluchon sur l’épaule. Il demande à être logé, sans aucune envie de travailler. Il le fait savoir. L’abbé Pierre se met à l’engueler. «Demain matin, debout à 7 heures, au boulot. » Ce que voulait l’homme c’était manger, être logé, c’est tout. L’abbé Pierre lui explique : « c’est bien marqué sur mon front que je suis bon, ce n’est pas marqué que je suis con ».
Dès le lendemain, nous sommes environ 70 à travailler à la réserve en différents secteurs, tri des bouteilles en verre, du bois, de la ferraille, un peu de tout qu’on appelait « la farfouille ».
On nous met entre les mains les clés d’un camion Citroën P 45. « Vous allez chiner. » Nous voilà, les matins, dans Paris, avec des fiches en main, pour ici vider une cave à charbon, ailleurs débarrasser une chambre de bonne au 7° étage sans ascenseur. On nous met à construire des habitats- igloos à Noisy le Sec. C’est du simple et rapide. Les mains dans le mortier, on commence par établir un rectangle avec des parpaings de ciment, un sol en béton, des murs et une couverture en éverite. Voilà un toit, une maison. Il n’y aura pas d’eau, pas de chauffage.
Nous vivons parmi les chiffonniers d’Emmaüs, ceux-là sont sujets au délirium tremens, d’autres en crise de palud. Ici tout ou presque se règle par la violence avec un bon coup de poing dans la gueule s’il faut. Michel s’est fait connaître comme séminariste. Cet homme se confie au jeune homme qu’il est : » j’ai été marié deux fois, séparé deux fois. Après la deuxième séparation je me suis retrouvé à la rue. J’avais pris l’habitude de faire la manche, de boire, de chaparder. C’est le père (l’abbé Pierre) qui m’a sorti de là ».
Au bout de ces trois semaines d’insertion il faut retourner en Vendée, préparer la rentrée. Michel s’entend dire par ces hommes violents, au coeur débordant de tendresse. « tu devrais rester avec nous ». Michel n’oubliera pas le message. Ainsi deux ans plus tard, dans la guerre d’Algérie qui le met au contact de populations défavorisées. En 2023 pour ce prêtre retraité en Ehpad aux Herbiers, et pour beaucoup d’autres, Emmaüs et l’abbé Pierre continuent de réveiller les consciences.
C.B.